Informatique et problèmes d'organisation du travail
C’est en visionnant un article-vidéo de l’excellent blog La Vie Moderne, tenu par un professeur, que le constat du numérique morcelant les métiers m’est paru le plus évident. Au-delà du comique de la situation pour cet enseignant « connecté », vient immédiatement la question de la cohérence d’un tel environnement informatique. En comptant ses applications web, nous arrivons au nombre de 11 systèmes différents :
- Site du lycée ;
- Site de l’enseignant pour les élèves ;
- Vie Scolaire pour rentrer des notes ;
- Deuxième ENT ;
- Visiocolle pour noter les élèves en colles ;
- I-Prof pour gérer la carrière ;
- Académie de Paris pour l’e-mail professionnel ;
- Obii pour les notes du B2I ou saisir les « compétences » des élèves ;
- Admission post-bac pour les dossiers des élèves qui passent le BAC ;
- Lotanet pour saisir les notes du BAC ;
- Imagine pour se faire payer (!!!).
Fragilité de l'organisation du travail
Une telle aberration ne peut exister qu’à la condition d’une absence de coordination entre les différents services de l’Education Nationale. Comment, par exemple, ne pas avoir une fusion entre le logiciel de paie et celui de gestion de carrière ? L’environnement informatique n’est tout simplement pas pensé en termes de tâches, mais reproduit une dislocation organisationnelle. Quelle preuve pour l’utilisateur, qu’un changement sur i-Prof entraînera bien une modification sur Imagine ? Beaucoup d’organisations du travail ont développé des environnements informatiques qui reproduisent leur problème fonctionnel, pensant que le « numérique » était forcément un progrès. Il y a peut-être même, derrière ces passages compulsifs au « numérique », la croyance selon laquelle l’environnement informatique résoudrait les problèmes organisationnels.
Fragilité pour l'opérateur
L’utilisateur est alors fragilisé sur deux points. En contestant l’environnement informatique, il porte inévitablement une critique sur le morcellement de l’administration du travail. Or, celle-ci s’est parée du « progrès informatique », ce qui la rend inquestionnable. L’autre point est, malheureusement, l’utilité faible (voire inexistante) de ces plateformes pour les opérateurs. En effet, ces systèmes sont dans une logique de reproduction mais ils ne sont effectifs que dans leur capacité de stockage d’une information, le plus souvent quantitative (stockage de notes dans ce cas). Il y a là, de fait, un appauvrissement du métier.
Pour les ergonomes, ce cas est un bon exemple de l’intérêt d’analyser l’ensemble de l’organisation du travail avant de se plonger dans les caractères fonctionnels des applications informatiques. Si ce travail n’est pas fourni, quelle que soit la pertinence des recommandations ergonomiques sur les interfaces, l’environnement informatique sera refusé par l’opérateur. Mais pour que l’étude en ergonomie ait du sens, faut-il encore que l’organisation du travail accepte de développer des outils pour ses opérateurs, et non pour se protéger en se drapant du voile de la bienfaisance numérique.