La simulation en ergonomie
Deux grandes activités de simulation sont utilisées en ergonomie.
Simulation du dispositif technique
La plus connue est celle qui consiste à tester un dispositif technique en fin de projet, pour le confirmer avant le déploiement. C'est ce que l'on nomme couramment la phase de test, durant laquelle on soumet aux opérateurs le dispositif technique concret, conçu ou corrigé par l'intervention en ergonomie. Dans le domaine logiciel, cela se matérialise par des passations devant une maquette d'interfaces en haute définition, qui reprend les composantes structurelles et fonctionnelles de l'outil final envisagé.
Ce type de simulation se base le plus souvent sur des tâches, déterminées comme cruciales par l'analyse ergonomique, qui sont demandées à l'opérateur. Nous sommes donc en face d'une double simulation, puisque la situation de travail est également fictive. Cela n'est pas sans poser des problèmes sur l'authenticité de cette phase de test. En effet, il est toujours délicat, au niveau conceptuel, d'isoler certaines tâches les unes des autres, tant bien même qu'elles seraient "cruciales". Du point de vue de la résonance fonctionnelle, cela revient à dire que les tâches "mineures" ne résonneraient pas du tout sur les autres. Ou de façon tellement marginale, qu'il serait inutile de les tester.
En réalité, il est extrêmement difficile de prévoir comment un système de travail se comportera avant de l'avoir mis en place en situation réelle. La simulation du dispositif technique est une vérification partielle, qui omet des résonances intra et inter systémiques. L'autre biais est que les opérateurs perçoivent facilement qu'ils sont dans une phase de test, et non en situation réelle, ce qui gomme sensiblement le principal engrenage des situations de travail : les relations de pouvoir (et non pas la productivité).
Simulation de la demande
L'autre type de simulation, beaucoup moins connu, est le fait de simuler la demande. Pour rappel, la demande est la pression exercée sur le système, lui-même organisé en fonctions pour y répondre, en produisant soit des biens, soit des services. La façon dont sont activées les fonctions ne suit pas une logique séquentielle. Dit autrement, l'activité est une chose faiblement prédictible, sauf pour un système composé uniquement de dispositifs techniques. Mais ce genre de système n'existant pas - quoi qu’adulé par la religion managériale - car immédiatement mis en échec par la variabilité de la demande, nous n'avons pas encore à nous en soucier.
En revanche, nous devons bien spécifier la robustesse du système, c'est-à-dire à quel niveau de charge de la demande il peut répondre. Par exemple, une chaîne de tri peut traiter x colis sur une heure. Pourra-t-elle traiter x + y colis sur une heure ? Nous savons, ergonomes, que l'activité va probablement changer entre une demande de x colis et une demande de x + y colis. Mais, ce qui est intéressant, c'est de noter précisément ce qui change. Quelle fonction est mise en défaut ? Quelle fonction est créée par les opérateurs, pour éviter la rupture de système (ici, le fait que les colis ne soient pas traités) ? Cette simulation, qui augmente le niveau de la demande, est une activité importante pour la conception ergonomique, car elle révèle aussi bien les failles d'un système que des principes de solutions. Il est d'ailleurs amusant de constater que les fonctions que l'on considérait comme les plus robustes, souvent celles qui sont fortement automatisées, sont celles qui échouent le plus rapidement dans ce genre de "stress-test".
La simulation dans le cycle du projet
Il n'est pas évident de placer une activité de simulation dans le cycle d'une refonte d'un outil technique. La simulation par maquettes et tests finaux ne peut pas tout vérifier, et vérifie plutôt peu que beaucoup. Sans pour autant annuler cette phase, il semble important de la doubler par un accompagnement ergonomique sur le déploiement d'un dispositif en réel. Souvent, la mission se termine à la livraison des recommandations en ergonomie, alors qu'il serait utile de prolonger la présence de l'ergonome.
La simulation dans une visée d'analyse de la robustesse d'un système ne peut pas toujours être mise en place. Il faut avoir les moyens d'augmenter artificiellement la demande et la possibilité de l'insérer dans l'activité réelle des opérateurs. Les cas d'intervention ergonomique comportant ces deux conditions sont rares. Cette simulation vient épauler les observations du travail réel effectuées par l'ergonome. Car, en observation classique, nous pouvons très bien passer à côté des situations problématiques, c'est-à-dire observer une instanciation du système sans qu'aucun problème n'apparaisse car la demande est trop faible. "Revenez en période de Noël, dit l'opérateur qui traite les colis ce 18 mai. Ce sera la folie !"