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Retour sur la page d'accueil du blogPublié le mer. 29 août 2012

Faut-il détruire les checklists ?

Checklist fictive en ergonomie IHMLes checklists fleurissent sur le web, se proposant d’analyser l’ergonomie de votre site web ou logiciel, en déclinant un nombre de questions se rapportant à l’interface étudiée. Ces listes sont, pour leur grande majorité, dérivées des critères de Bastien et Scapin ou encore des heuristiques de Nielsen. Nous pouvons distinguer deux types de checklists :

1)  Celles qui abordent des thèmes généraux, sans poser de questions directes sur un élément de l’interface (ex : « les utilisateurs peuvent-ils corriger leurs erreurs ?) ;

2)  Celles qui pointent des caractéristiques particulières de l’interface (ex : « le logo est-il cliquable ? »).

Une utilité faible pour l’ergonome IHM

Si la validité scientifique des grilles d’inspection des listes du premier type est effectivement vérifiée, elles restent la plupart du temps inutiles dans l’intervention ergonomique. En évaluation, entrer directement avec les critères de ces grilles poserait l’ergonome en position d’expert. Il n’y aurait alors plus besoin de rencontre avec l’utilisateur, celui-ci étant synthétisé par les thématiques de la grille. En conception, la multiplicité des critères empêche de percevoir ce qui est central dans la situation de travail ou d’utilisation étudiée. En pratique, ce genre de grilles est davantage considéré comme un travail universitaire, tâchant de résumer l’interaction interface-utilisateur.

Les choses se gâtent avec le deuxième type de grilles. En effet, celui-ci permet d’apporter un score à l’ergonomie de l’interface homme-machine. Rarement valides scientifiquement, elles sont néanmoins de plus en plus répandues dans les projets d’ergonomie… sans ergonome IHM.

Le score : outil de communication…

L’évaluation quantitative, même pour des sujets qui ne s’y portent pas, a souvent le vent en poupe. La raison principale de la présence de grilles d’inspection en ergonomie est qu’elles apportent un score à l’interface, permettant ensuite de justifier un budget pour le développement d’une fonctionnalité, d’un graphisme… ou tout simplement de considérer impeccable l’ergonomie du système ! L’autre raison est qu’elles se passent volontiers de la présence d’un ergonome : il suffit de savoir lire pour les utiliser. Nombre de designers/graphistes sont alors chargés de l’ergonomie, tout en ayant au mieux une formation d’un petit mois dans le domaine.

Malheureusement, ces grilles font toutes l’économie du contexte d’utilisation. Si certaines caractéristiques physiques et cognitives d’un être humain peuvent être communes, nous ne pouvons pas nous passer d’une analyse de la situation d’usage. Par exemple, au niveau cognitif, des recherches ont avancé sur la capacité mnésique de l’humain. Mais s'en contenter serait omettre les facteurs liés à l’expertise et toutes les stratégies qui en découlent pour réaliser plus facilement une tâche. Les stratégies sont situées dans un cadre d’utilisation qui, lui, est unique.

Certaines grilles s’autorisent même des solutions préconçues de conception. Par exemple, si votre utilisateur ne sait pas où il se trouve dans votre site web, il faudrait mettre un fil d’Ariane ! Qu’importe, après tout, si l’architecture d’informations de votre site ne s’y prête pas ! Un autre exemple, que l'on retrouve très souvent, est la règle des trois clics pour accéder à une information. Elle n'a absolument aucune valeur, puisqu'un clic n'est pas égal à un autre clic selon l'interface et la tâche demandée.

Un bilan décevant

Par la pauvreté de l’analyse qu’elle apporte, la grille de second type apporte bien des malheurs. Au client potentiel, tout d’abord, car la conception de son interface ne pourra être qu’un agglomérat de solutions, incohérentes entre elles, basées sur des règles d’or fantaisistes. L’utilisateur final, qui n’a jamais été sollicité, verra un outil plus inadapté que le précédent lui être imposé. L’ensemble des acteurs, de la MOA à l’opérateur, s’accorderont pour dire que l’ « ergonomie » est quelque chose de superflue. L’image de son métier écornée, l’ergonome IHM aura donc du mal à se positionner en compétences sur les projets à venir. Seules portes ouvertes, celles où il faut faire de l’ergonomie pour être tendance : l’ergonome « objet marketing ». Par ces checklists et autres critères d’utilisabilité, l’ergonome IHM a cru démocratiser l’ergonomie dans les projets informatiques. Mais il a offert une représentation de l’ergonomie qui se passe volontiers de lui, qui ne fait aucun cas de l’analyse de la tâche et de l’activité des utilisateurs.

Les commentaires sur l'article

Thierry bouillot , le Mon 03 Sep à 13h41

Je rejoins complètement cette très bonne analyse de la méthode de checklists. L'IHM est un contexte ou doit en tout cas être considérée dans un contexte, avec des objectifs d'utilisation.

Voir aussi...

Interface

La surcharge cognitive (ou mentale)

Analyse de la tâche : la fin des modèles linéaires

Intelligence artificielle : la menace robots

Les bonnes cartes