La maquette ergonomique
L'entrée d'une demande d'intervention en ergonomie logicielle procède souvent de la même description par le client : le logiciel est moche, l'utilisateur est perdu, il faudrait quelque chose de plus intuitif…
La maquette ergonomique va rassurer le client, en lui proposant quelque chose de concret, de manipulable, de graphique. Elle permet d'appliquer les principes théoriques qui sous-tendent les analyses ergonomiques. La maquette place aussi le client en position d'utilisateur, c'est-à-dire en position d'évaluateur du travail effectué par l'ergonome : elle lui permet d'avoir un contrôle sur la mission en ergonomie. On va me rétorquer que le client n'est pas un utilisateur. C'est vrai, ce n'est pas un utilisateur comme les autres : le client va utiliser la maquette pour contrôler les aspects qu'il maîtrise, qui sont souvent de l'ordre de la perception graphique.
Pour l'ergonome, l'intérêt réside dans le fait de pouvoir effectuer des passations de tests auprès d'un échantillon d'utilisateurs. La maquette est un support pour l'itération du projet et la maturation des idées de conception. Le rendu « maquetté » en lui-même n'a pas d'intérêt pour l'ergonome, c'est l'identification et la matérialisation des processus par la maquette qui sont intéressantes.
Assez rapidement, un problème se pose au cours de l'intervention : si la maquette est un outil de contrôle pour le client, mais un outil d'élaboration continue pour l'ergonome, alors des déceptions peuvent subvenir. La plus courante est la déception du client par rapport aux premières maquettes ergonomiques, qui n'intègrent pas des dimensions graphiques très poussées. Même lors des maquettes finales, l'ergonome aura généralement besoin de l'aide d'un graphiste pour enjoliver ses maquettes.
La fausse solution consiste à transmettre uniquement au client les maquettes graphiquement abouties, à les accompagner systématiquement de rapport de conception, ainsi que de réunions de projet. En réalité, si le contrôle s'effectue par la maquette, vous pouvez faire toutes les réunions que vous voulez, l'attente du client sera sur la maquette. L'ergonome se heurte à une problématique du management, qui s'applique à la majorité des métiers de service, y compris en interne auprès des salariés (pardon, des « collaborateurs »).
Le caractère graphique est souvent mis en avant dans la demande, bien plus que l'aspect fonctionnel de l'outil logiciel. Pourtant, après quelques années d'exercice, je peux affirmer que les utilisateurs acceptent facilement d'utiliser un logiciel moche mais qu'ils supportent assez mal que les fonctions de l'outil ne correspondent pas au cadre de leur travail.
Ainsi, vendre une intervention en ergonomie logicielle seulement par la technicité de la maquette comporte le risque de cloisonner la mission dans un travail qui s'apparente davantage à une refonte graphique. La maquette ne traduit pas l'ensemble des choix ergonomiques. Elle a tendance à enfermer le problème dans une approche de type behavioriste : l'utilisateur répond au stimulus « interface ». Elle nie alors toute la complexité de l'insertion et de l'appropriation d'un outil, dont il se trouve ici qu'il est informatisé, dans le travail de l'utilisateur final. En d'autres termes, un outil ne révèle pas la complexité du travail, c'est un artefact du système.