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Retour sur la page d'accueil du blogPublié le mer. 28 novembre 2012

UX : trop d'émotions

L’émotion UX

La mode UX (User eXperience) est apparue dans les années 2000 suite aux déclarations de Donald Norman, qui considère que les émotions sont un élément essentiel lors de la prise de décision d’un individu d’utiliser ou non un produit. Il a fait apparaître l’intérêt primordial de considérer le produit au sein d’un contexte d’utilisation large, qui dépasse largement ses composantes techniques : le graphisme, l’interface, l’interaction physique et le manuel sont par exemple compris dans l’UX. Le but d’un produit UX est d’offrir la meilleure expérience à l’utilisateur, c’est-à-dire un moment agréable lors de l’utilisation du produit. Le concept UX englobe et dépasse ceux d’utilisabilité, d’utilité et d’acceptabilité.

L’UX partout et pour tout

La notoriété de Norman et, surtout, la définition extrêmement vague qu’il a volontairement donnée à UX ont permis à la plupart des acteurs d’un projet informatique de s’emparer du terme et de le répandre. Ainsi, on trouve généralement ce sigle apposé à un métier d’origine : « UX Designer », « UX Engineer »… Tordons rapidement le cou à certaines combinaisons. Un ingénieur ne peut pas être « UX », car il conçoit un système sur la base de contraintes techniques fortes, ses enjeux peuvent être opposés à une facilité d’utilisation. Par exemple, une interface « agréable » pour l’utilisateur peut être difficile à coder. Un designer va rencontrer les mêmes difficultés. Enfin, le fameux « Ergonome UX » souffre d’un pléonasme chronique : comment faire de l’ergonomie sans être centré sur l’utilisateur ? L’UX est en réalité devenu un terme pratique pour prendre en compte les besoins des utilisateurs sans avoir à passer par un ergonome.

Un flou méthodo-pratique

Au niveau de la pratique en ergonomie, les affirmations de Norman sont insuffisantes pour bâtir une méthodologie robuste. Au moins trois questions peuvent être posées :

-        Comment repérer une émotion ?

-        Comment caractériser une émotion ?

-        L’émotion porte-t-elle sur le système ou sur l’information ?

Une émotion ne se détecte pas facilement. Contrairement à ce que suggèrent certaines séries télévisées, il ne suffit pas de coller une caméra devant l’utilisateur pour en déduire un « état psychologique » par rapport à une grimace ou un hochement de tête. La technique de l’eye tracking mesure les mouvements oculaires mais on pêche encore dans l’interprétation des données recueillies. Les tests-utilisateurs sont une technique d’observation de l’activité des utilisateurs, par rapport à une tâche précise. On observe les comportements, pas les émotions qui sont du registre de l’attitude. On peut, à la limite, repérer des changements physiologiques qui pourraient être liés à une émotion (rythme cardiaque, sudation…).

Il y a aussi les échelles de satisfaction, sous forme de questionnaires. Le souci avec ces échelles est qu’on n’est jamais sûr de ce qu’on mesure. En effet, la réponse d’un utilisateur peut porter à la fois sur la satisfaction par rapport au contenu ou au contenant, et il est parfois impossible de distinguer le facteur qui a provoqué une impression positive ou négative. Qu’est-ce qui provoque l’émotion ? Le graphisme, le système de navigation, le fait d’avoir un contenu riche… ?

L’affirmation de Norman sous-tend qu’il y a de « bonnes » émotions et d’autres qui sont « moins bonnes » pour inciter l’utilisateur à s’engager sur le système. En psychologie cognitive, certains auteurs considèrent que l’émotion est une activité cognitive qui évalue un évènement sur sa nouveauté, son côté « plaisant/déplaisant » et sur les modalités de contrôle de cet évènement. Cependant, ces critères vont être activés différemment selon les individus. Le seul critère où nous avons prise en ergonomie est celui des « modalités de contrôle », en essayant de concevoir des interfaces où le dialogue entre l’individu et la machine est intuitif, c’est-à-dire compatible avec les connaissances de la personne sur le système.

La mode UX est toutefois une théorie tout à fait défendable lorsque le client est l’utilisateur final du système : site web e-commerce, jeux, consommation d’informations… En effet, un utilisateur qui a peu de plaisir à utiliser un site d’e-commerce n’achètera probablement rien. Les lacunes en matière d’observation des comportements des utilisateurs ne discréditent pas la thèse selon laquelle il y a bien un lien entre l’utilisation et les émotions.

En revanche, la mode UX est totalement inappropriée lorsque l’utilisateur est un opérateur, c’est-à-dire qu’il utilise un outil dans le cadre professionnel, pour remplir une tâche précise. Prenons l’exemple d’un logiciel qui est chargé d’avertir un opérateur lors d’un problème sur une chaîne de montage. Un incident intervient et l’IHM avertit l’opérateur, lui fournit la nature du souci et le lieu où il doit intervenir. L’interface a rempli son rôle efficacement, on ne peut rien lui reprocher au niveau ergonomique. Pourtant, il y a fort à parier qu’elle recevra une expérience utilisateur déplorable, par le fait qu’émotionnellement elle soit associée à l’apparition d’un problème. En ergonomie, nous travaillerons donc davantage, pour cette activité, sur les conditions de travail que sur la correction de l’interface. Une IHM de travail n’est pas faite pour plaire, le travail étant un effort fourni par l’opérateur. Il faut donc veiller à distinguer l’ergonomie de l’UX et se consacrer à cette dernière uniquement pour les objectifs de consommation.

Voir aussi...

Intelligence artificielle : la menace robots

Transports et conditions de travail

La simulation en ergonomie

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