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Retour sur la page d'accueil du blogPublié le jeu. 12 mars 2015

La surcharge cognitive (ou mentale)

Théorie de la charge mentale

Le concept de « surcharge cognitive » vient des théories cognitives qui décomposent la mémoire en plusieurs instances : mémoire à long terme, mémoire à court terme, renommée ensuite « mémoire de travail » et la mémoire sensori-motrice. L’analogie avec le fonctionnement de l’ordinateur n’est pas fortuite, principalement avec la mémoire en disque dur et la mémoire vive, ces théories ayant émergé en même temps que les super-calculateurs. L’idée directrice est que les êtres humains sont limités en capacité de traitement de l’information, par leur mémoire de travail, à la fois en terme de quantité d’informations qu’en terme de rétention de l’information sur une période.

Ce point de vue a été transposé à la conception d'IHM : la complexité de l’interface induirait un effort cognitif et donc une possible surcharge. De plus, en mesurant la charge cognitive imposée par les exigences de la tâche, il serait possible de déterminer un seuil acceptable pour la conception des IHM.

Beaucoup moins connue, si ce n’est par ceux qui travaillent sur les tâches de vigilance, la sous-charge mentale est apparue suite aux constats de « sous-performance » lorsque l’opérateur n’est pas confronté à des exigences élevées par les demandes. L’idée est alors d’établir une sorte de seuil minimal d’activité à partir duquel la personne n’est pas suffisamment « stimulée » pour être pleinement opérationnelle.

Modèle charge mentale de Waard(1996)
Relation entre niveau d'activation, charge de travail et performance (adapté de Waard, 1996)

Critiques sur le concept de surcharge mentale

Nous sommes en face d’une théorie typiquement IHM, c’est-à-dire qui repose sur une fragmentation du système entre l’opérateur humain et la machine. Des problèmes méthodologiques lourds se sont posés pour mesurer cette « charge mentale » et n’ont à ce jour pas été résolus. Ne parlons même pas de la sous-charge mentale où absolument aucune tentative n’a pu émerger sur un outil de mesure sérieux. Actuellement, la surcharge cognitive est décelée de trois façons : (1) performance sur une tâche principale couplée à une tâche secondaire, (2) données subjectives, comme des entretiens avec les opérateurs, et (3) données d’ordre physiologique, comme le rythme cardiaque voire activation des zones cérébrales pour les dispositifs d’études les plus coûteux. Pour les techniques du premier point, des différences importantes sont observées entre les individus, mais aussi selon le contexte de la tâche. A mon avis, cela s’explique par le fait que les environnements de travail ne sont plus modélisables selon un point de vue linéaire, c’est-à-dire que plusieurs tâches entrent en résonance d’une manière qui ne peut pas être anticipée. Les techniques subjectives supposent que l’opérateur a une représentation fiable de son travail… Quant aux techniques du troisième groupe, elles sont plutôt invasives et ne prouvent pas une suractivation, juste une activation. Autrement dit, la question du seuil reste ouverte.

Intérêt pour la charge mentale

J’observe actuellement une véritable fascination pour la mesure de la charge mentale, dépassant largement les frontières des interfaces informatiques, comme le montre cet article du portail Officiel Prévention. Cette tentative de quantification de la charge mentale est, selon moi, plutôt une tentative de mesure de l’effort de travail en général. Si cette mesure était à portée de mains lorsque le travail présentait une composante physique majeure, elle devient inaccessible lorsque les tâches sont cognitives. Aujourd’hui les tâches physiques sont prises en charge de plus en plus par des automates, à cause de la capacité qu’ont ces derniers à produire une performance stable et à cause de l’accroissement des réglementations visant à protéger le travailleur, paradoxalement jusqu’à l’exclure du travail physique. Les tâches cognitives sont majoritairement supportées par les êtres humains, jusqu’au retour plus large des robots. Les managers se trouvent démunis dans la quantification du travail.

Problèmes de conception et changement de paradigme

Il faudrait aussi interroger le rendu des approches IHM qui ont tenté de justifier des choix de conception par les théories des charges mentales. Dans la quasi-totalité des cas, les préconisations ont été d’alléger les interfaces machine. C’est la « simplexité » : on rend la situation nominale facile à prendre en main, la machine facile à utiliser, en présentant des interfaces qui répondent bien aux usages analysés comme récurrents. Les tâches dites « secondaires » sont mises en second plan, la complexité du travail est ainsi masquée voire niée. Malheureusement, dès qu’une situation sort de l’ « ordinaire », le système complexe sera alors probablement dans l’incapacité de répondre.

La réflexion sur la conception de systèmes complexes, et non plus d’interfaces homme-machine, doit se situer au niveau de la capacité de l’opérateur humain à maintenir sous contrôle toute une variabilité de situations. Mais c’est une vision complètement différente de l’approche IHM, un changement de paradigme, qui nécessite d’effectuer une jointure entre l’opérateur et la machine pour former le système, et d’analyser ce que ce système produit plutôt que la nature de ses composants.

Sources

Mark S. Young, Karel A. Brookhuis, Christopher D. Wickens & Peter A. Hancock (2015) State of science: mental workload in ergonomics, Ergonomics, 58:1, 1-17.

Voir aussi...

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UX : trop d'émotions

Les bonnes cartes

Intelligence artificielle : la menace robots

Informatique et problèmes d'organisation du travail