Charge mentale et temps perçu
Un jour, un client viendra vers moi et m’annoncera : « Je pense que les utilisateurs sont gênés parce que j’ai 10 items dans le menu de mon logiciel. J’ai lu que le système humain ne supporte pas plus de 7 items (+/- 2). » Heureusement, j’ai préparé ma réponse : « Oui, cet item supplémentaire va probablement faire fondre le cerveau de vos utilisateurs. Seuls les surdoués survivront. » Il y a quelque chose de magique avec la surcharge cognitive, car ce thème évoque forcément des processus abstraits difficiles à décortiquer pour le non-spécialiste.
Pourtant, définir la charge mentale (ou charge cognitive) lors de l’utilisation d’un outil informatique est important dans l’analyse en ergonomie, pour anticiper la difficulté de prise en main de l’outil. La charge mentale comprend les ressources cognitives allouées par l’utilisateur pour remplir la tâche. On distingue deux allocations de ressources, en ergonomie des interactions humain-machine : (1) celles utiles aux traitements des processus « métier » et (2) celles servant à maîtriser l’interface informatique. Un des objectifs d’une intervention en ergonomie est de réduire la charge cognitive du second type, de manière à ce que l’utilisateur puisse se consacrer le plus possible à la tâche « métier ».
Pour analyser la charge mentale, les psychologues et chercheurs cognitivistes ont mis au point plusieurs techniques. Citons globalement les grands ensembles :
- Mesures sur la performance : les utilisateurs sont testés par rapport à l’accomplissement d’une tâche précise, la variation de la performance est corrélée à la charge cognitive ;
- Mesures physiologiques : le rythme cardiaque, l’activité cérébrale, les mouvements oculaires… sont des indicateurs de la charge mentale ;
- Mesures subjectives : des questionnaires sur la difficulté sont soumis aux utilisateurs, pendant ou après la réalisation de la tâche.
Hertzum et Holmegaard (2012) viennent d’utiliser une méthode originale, consistant à demander aux utilisateurs le temps qu’ils pensent avoir passé sur la tâche. Deux cas s’offrent à l’évaluateur : soit annoncer à l’avance aux opérateurs que l’on leur demandera de rappeler le temps passé sur la tâche, soit leur présenter cette consigne sans avertissement préalable, à la fin de l’exercice. Selon ces auteurs, cette méthode est très efficace tout en étant relativement peu coûteuse à mettre en place, en tout cas beaucoup moins que les tests physiologiques.
D’autres recherches sur la charge mentale ont retenu ce critère pour les observations. Jusqu’à présent, nous notons que lorsque les utilisateurs sont avertis qu’ils devront donner le temps passé sur la tâche, ils ont tendance à donner un temps de plus en plus faible avec l’importance des efforts cognitifs fournis. En revanche, lorsqu’ils ne sont pas avertis au préalable, les utilisateurs vont penser avoir passé plus de temps sur la tâche qu’ils ne l’ont réellement fait, plus l’effort sera important. L’étude de Hertzum et Holmegaard contredit cette affirmation, car ils ont observé que la satisfaction à la réussite d’une tâche affecte aussi la perception du temps.
Utilisation pratique pour les consultants IHM
Pour les consultants en ergonomie, facteurs humains et concepteurs d’interfaces, cette méthode d’inspection présente un atout indéniable : elle est très peu invasive, les utilisateurs font rarement le lien entre le temps perçu sur une tâche et la charge cognitive déployée. Ainsi, ils n’ont pas la sensation d’être évalués directement et les biais sur le masquage des performances (essayer de paraître plus performant qu’on ne l’est vraiment) sont relativement faibles. Cette méthode doit bien sûr s’accompagner des techniques d’inspection plus classiques, comme les tests-utilisateurs et les focus groups, car elle ne renseigne pas qualitative sur les points problématiques de l’interface.
Source
Morten Hertzum & Kristin Due Holmegaard (2013): Perceived Time as a Measure of Mental Workload: Effects of Time Constraints and Task Success, International Journal of Human-Computer Interaction, 29:1, 26-39