IHM vs Système complexe : le cas d'un lave-vaisselle
Voici un article plus accessible que le précédent, sur un cas pratique que vous connaissez tous : la gestion d'un lave-vaisselle. L'électro-ménager est certainement un des plus grands bouleversements dans la vie de ménages occidentaux lors des dernières décennies.
Le but de cet article est de décrire l'ergonomie selon deux vues : celles de l'interaction homme-machine (IHM) plus celle du système complexe, que je soutiens avec Octopus Ergonomie.
L'ergonomie de l'interface et le point de vue IHM
Le lave-vaisselle que je vous propose d'analyser est un modèle de la dernière génération, ayant moins de 5 ans. Les premiers appareils en électro-ménagers ont rapidement vu leur nombre de fonctionnalités croître, chaque fonction étant vendue comme un atout par rapport à un modèle d'une marque concurrente. Cela a amené à la mise sur le marché de machines truffées de boutons, avec des combinaisons improbables. Rapidement, les chercheurs se sont aperçu que les gens n'utilisaient que les fonctions de base et n'osaient pas s'aventurer dans des paramétrages complexes. Depuis plusieurs années, nous avons donc un revirement de la tactique employée par les constructeurs, qui proposent désormais des interfaces très faciles à prendre en main.
Sur le modèle que j'ai sélectionné, il n'y a aucune difficulté liée à l'interface. Seulement quatre boutons sont présents pour choisir les cycles. On repère le cycle sélectionné avec une diode. Un mode demi-charge et un mode de variation dynamique du temps accordé au cycle sont aussi proposés avec un gros bouton rond chacun. Trois diodes indiquant le manque de sel ou de liquide-vaisselle. Deux boutons pour changer la durée (mais les cycles sont pré-calibrés) et un gros bouton pour marche/arrêt. On a donc des actions minimes de la part de l'utilisateur, qui peut lancer un cycle en deux appuis de bouton. Tout le reste est pris en charge par la machine, qui est même capable d'adapter la durée selon la saleté. En fait, on pourrait se demander si la machine ne devrait pas, aussi, remplir elle-même le lave-vaisselle. Donc, d'un point de vue ergonomie IHM, que reprocher à cette machine ?
L'ergonomie du système complexe : la dynamique
Pourtant, les choses vont se gâter rapidement. Le lave-vaisselle se bloque et affiche à la place de l'heure un magnifique « E:24 ». En langage humain, cela indique que l'erreur 24 a été rencontrée. Notez à quel point le passage de relais « machine vers humain » est brutal : l'utilisateur n'avait pratiquement rien à faire et il doit maintenant, seul, traiter une erreur. Retrouvant le manuel dans un obscur tiroir poussiéreux, car c'est souvent là que les manuels d'utilisation se cachent, après une demi-heure de recherche, je peux lire ceci pour l'erreur 24 :
Manque de chance, aucun des problèmes mentionnés ne correspond à la situation réelle. Je tapote sur Internet et trouve au moins quatre autres évènements qui génèrent l'erreur 24. Comment est-ce possible ? Tout simplement parce qu'un système complexe est par définition inextricable : on ne peut pas lister toutes les situations à traiter, parce que tous les paramètres ne sont pas connus. Nous en sommes en face d'une situation variable : comment je place la vaisselle dans la machine, comment je la raccorde au circuit des eaux, quelles sont les autres machines sur le circuit électrique… L'autre remarque en lisant le manuel, c'est son volume pour une machine si simple d'utilisation ! En réalité, le manuel présente aussi des combinaisons de touches qui apportent d'autres fonctions, jugées anecdotiques dans le cadre d'une « utilisation normale ». Ainsi, la « simplexité » n'est qu'une vaste arnaque, consistant à rendre inaccessible un nombre important de fonctions, pour rendre facile d'utilisation les fonctions les plus courantes. Dès que vous sortez de l' « utilisation normale », le système n'a plus les moyens de faire face à la situation.
Conclusion avec l'approche classique en IHM
Pour cette approche, que je ne défends pas, le problème vient d'une mauvaise compréhension du contexte d'utilisation. Comprendre ici que l'ingénieur n'a pas pensé la situation qui a généré la panne. S'il l'avait prise en compte dans sa liste, il aurait pu concevoir une fonction pour que la machine résolve seule le problème.
Conclusion avec l'approche en ergonomie des systèmes complexes
Par système, j'entends l'utilisateur et la machine qui doivent ensemble laver la vaisselle. Par l'automatisation et surtout l'opacité de nombreuses fonctions, l'utilisateur perd le contrôle du système, parce qu'il ne sait pas exactement ce que fait la machine. Par exemple, il ne peut savoir quand est effectuée une vidange qu'en guettant patiemment le bruit du circuit d'eau. Pour avoir un système plus résilient, il est donc nécessaire de considérer plus de transparence sur ce qui est fait, de manière à faciliter le diagnostic lors d'une panne. Et éviter ainsi de laver la vaisselle à la main.
MONTEIL Vincent, le Thu 01 Jan à 17h14
Rémi, nous venons de lire ton article (intéressant et drôle) sur le lave-vaisselle. Ce que j'en conclus : nous n'avons pas de lave-vaisselle et nous en sommes ravis!! J'ajouterai que ceci me fait penser à des problématiques que nous trouvons sur les voitures "modernes", devenues totalement 'illisibles" pour tout garagiste. Exemple : le système FAP (régénérescence des échappements) présent sur les voitures se met en route de façon libre et anarchique. Ce qui amène l'utilisateur à croire que sa bagnole est en train de chauffer sérieusement (radiateur à fond) alors qu'il fait 5° dehors et ceci alors même qu'on vient de couper le contact. Ta "transparence" serait alors indispensable pour éviter toute panique!!!
Très bon article, à méditer par les constructeurs divers!!!