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Retour sur la page d'accueil du blogPublié le lun. 12 janvier 2015

Emergence

Le principe d'émergence est lié implicitement à la modélisation fonctionnelle. La puissance de cette modélisation du travail, contrairement aux modélisations linéaires, est qu'elle supporte l'idée selon laquelle le système de travail est un ensemble neuronal. Alors que l'approche linéaire résulte en une vue sur l'accomplissement ou l'échec d'atteinte de buts, l'approche fonctionnelle préfère analyser les réactions du système aux demandes. Fondamentalement, l'approche linéaire implique que le travail est exécuté sous forme de séquences en vue d'atteindre des buts. Elle échoue à rendre compte de la modification des buts et à l'absence de buts. Tout au plus, peut-elle évoquer une redéfinition des buts dans le travail, aussitôt capturée comme finalité de la séquence.

L'émergence des situations de travail, au contraire, est issue de la modélisation du travail sous la forme d'un ensemble neuronal, dont l'objectif est avant tout de maintenir le contrôle sur ce qui est fait. Le système de travail fait face à un ensemble de variabilités, en premier lieu une variabilité des demandes que doit traiter le système. La modélisation fonctionnelle neuronale implique que le système de travail est un système nerveux, qui se caractérise par une variabilité de sa performance. Pas seulement par rapport à la demande, mais aussi par rapport à son propre fonctionnement.

Adopter le principe d'émergence change la façon dont l'ergonome considère le travail. L'un des gros problèmes méthodologiques de l'ergonome est qu'il doit désormais analyser des activités de services, avec des modèles conçus dans le cadre industriel, c'est-à-dire où le travail était assumé en une forme linéaire débouchant sur une production. Mon avis est radical : les modèles linéaires n'ont jamais été réellement performants pour rendre compte du travail. Leur indigence était juste imperceptible du fait que le cadre industriel restreignait la variabilité de l'expression du travail et que les discours de management supportaient l'illusion d'une performance prédictible. D'où la dichotomie prescrit / réel comme seul axe de lecture, dans lequel s'est noyée l'ergonomie-de-langue-française. D'où l'adoption virale du LEAN, comme illusion ultime du contrôle total. Le corolaire, au niveau de l'ergonome, étant que l'on peut rendre compte de la totalité du travail. En tant qu'ergonomes, nous aurions même « un devoir d'exhaustivité », dixit un confrère. Or l'exhaustivité ne peut être atteinte qu'en envisageant le travail comme un système fini, c'est-à-dire dont les frontières peuvent être décrites. Le principe d'émergence conteste cette vision des choses, en apportant une variabilité inter et intra système. Le travail étant une expression observable (et inobservable) de l'état neuronal du système, qui se produit à un moment précis mais peut très bien ne jamais se reproduire. Ce qui va intéresser l'ergonome est de détecter un modèle d'activité, l'observation n'étant qu'une instanciation de l'activité neuronale. Analyser le modèle d'activité suppose analyser comment il peut varier selon les situations et comment il peut gérer un ensemble d'évènements divers.

L'émergence est considérée comme une résultante en continu, parce que le système de travail est un système nerveux, dont il se trouve que les fonctions cognitives sont de plus en plus exigées par la demande. Si nous nous arrêtons là, nous restons encore dans un cloisonnement, à l'instar des modèles linéaires. Pour analyser les phénomènes de changement, nous devons ajouter le principe de résilience, c'est-à-dire que des émergences visant le système de travail en lui-même. Pas seulement quand le système est débordé par les demandes mais, plus globalement, parce que l'ensemble neuronal n'est plus tenable. Considérer le travail comme un système neuronal ouvre aussi la question de la vulnérabilité aux pathologies mentales par diffusion collective (ou dynamique) : envisager non pas le problème sous l'angle des pathologies au travail, mais du travail pathologique.

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